Chroniques de Nobodies
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 Chapitre I

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Axel
The Flurry of Dancing Flames
Axel


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MessageSujet: Chapitre I   Chapitre I EmptySam 17 Mar - 13:50

__
__ Il faisait froid. Et pas rien qu'un peu, non!
__ Ainsi, je me trouvais prisonnier d’un demi coma qui, parce que mon petit corps luttait désespérément contre l'évanouissement, me sembla mettre une éternité, sinon deux, à desserrer sur moi son emprise – période longue de combien d’heures, ou de semaines? Voilà une question dont la réponse m’échappe, comme bien d’autres en somme. Lorsque les secondes sont des heures ; les minutes, des jours ; les heures des semaines : le temps n’a plus de valeur, et encore moins d’importance. À quoi bon lutter – et contre quoi, au juste? La vie suit toujours son cours, inlassable et acharnée. Elle vous fera rendre votre dernier souffle avant de s’avouer vaincue. Et surtout ne la défiez pas : elle trouvera moyen de se retourner contre vous, quoi qu’il advienne.
__Ce que vous avez sous les yeux, là, juste devant vous, c'est moi - moi et mon histoire. Rien que ça. Puisse-t-elle être sans grande valeur, vous voici devant la possibilité d'en être les premiers témoins. Elle n'a rien d'un compte de fées, ni d'une grande aventure : elle est simplette mais n'aspire qu'à être entendue par qui en aura l'obligeance. Outre ce modeste récit, je n'ai pas grand chose à offrir. Certains savent se contenter de peu, remarque. Pour les intéressés, c'est par ici. Autrement, je ne vous retiendrai pas plus longtemps.
__Soit dit en passant, je suis Axel. Prenez-le en note, noir sur blanc, sur un mémo à garder bien en vue ; tâchez de ne pas l'oublier. Vous n'avez pas fini d'entendre parler de moi.
__Et le reste va comme suit.
__En somme, disais-je, il faisait froid. Oh, terriblement froid. Vous savez, le genre de froid qui, en premier lieu, vous démange, vous agresse de toute sa férocité. Il s’introduit alors en vous comme un parasite par tous les pores de votre peau, moite et glacée ; puis il se fond en vous, circule dans vos veines à la manière d’un puissant venin. Enfin, lentement, tout doucement – une véritable torture – il se propage plus en profondeur, se loge dans la moelle de vos os, vif et sournois, cependant discret en apparences. Jusqu’à ce qu’il vous engourdisse, jusqu’à anesthésier votre essence même afin de vous plonger dans une profonde léthargie.
__Il y a le froid, mais d’abord les idées, inconnues et envahissantes. Nouveau-nées, il y a de celles qui ont de l’ambition, bien qu’abstraites. Celles qui ont la volonté suffisante à se frayer un chemin, au-delà de toutes celles perdues avant d’atteindre leur destination, au sommet de votre crâne, pour enfin s’y ensemencer. De ce procédé en naissent de nouvelles, plus concrètes. Elles franchissent vos lèvres, animent un à un les membres de votre corps jusqu’à maintenant inerte. Elles éveillent vos sens et votre conscience, souillent leur chasteté. Puis, viennent les constatations, perturbatrices.
__Je pris une inspiration volontaire pour une toute première fois depuis mon réveil.
__L’air est étouffant.
__Je déglutis péniblement, ma gorge irritée par l’atmosphère humide et poussiéreuse. Je relâchai tout mon air et laissai malgré moi un frisson me parcourir.
__Ciel! je suis mort de froid.
__Je passai sur mes bras dénudés des mains fragiles et frigorifiées et les pressai contre ma chair congelée, sans aucun doute, réflexe plutôt naïf, dans l’espoir de réchauffer la peau sur mes os. Seulement alors, j’ouvris les yeux.
__Tout est noir.
__Instinctivement, je plissai les yeux et scrutai la noirceur à la recherche de la moindre source de clarté, aussi infime soit-elle, tant que je puisse y trouver quelque réconfort.
__Me voici donc enfermé.
__Un étroit rayon de lumière perçait à travers les barreaux d’une porte dont les contours se dessinaient vaguement, devant moi, à travers les ténèbres opaques. Un cachot? Une cellule? Question embêtante, je n'ai moi-même jamais su. Une céramique froide sur laquelle je reposais de toute ma nudité et dans une position fœtale ; des murs, si rapprochés, et tout aussi glaciaux que le sol sur lequel je me mis à remuer avec maladresse, à tâtons, afin de définir plus exactement le périmètre de la pièce dans laquelle on me détenait ; un plafond infiniment trop haut – y en avait-il seulement un? – et hors de mon atteinte, lorsque, titubant, je parvins à me mettre sur pieds, bien qu'à demi aveugle. Tels sont les souvenirs qui puissent refaire surface lorsque je tente de me remémorer les conditions dans lesquelles je vécus les premiers instants de ma vie dans ce monde.
__Condamné à ma crainte, ma soif et ma faim – sensations ô combien douloureuses lorsqu’elles sont amenées à être découvertes – et surtout, voué à ma terrifiante solitude, j’arpentai, oscillant et grelottant, la toute minuscule pièce qui me faisait office de lieu de naissance. N’offre-t-on pas, à un nouveau-né, un berceau, une couverture chaude ainsi que le sein de sa mère? Mais quelle mère, au fait? Un parent – mais qu’est-ce donc? Et seulement, où suis-je? Que fais-je? Que suis-je? Tant de questions sans réponses, et qui encore aujourd’hui restent des mystères inavoués.
__Non, voici. Plutôt que de savourer en toute innocence mon introduction à cette existence, je passai un très long moment, à peine conscient du temps que j’y mettais, à me pendre aux murs, à la porte, à ses barreaux dont la fine brèche ne laissait passer qu’un mince filet de lumière ainsi qu’une quantité d’air plutôt restreinte. Cela constitue, du moins, je suis tenté de le croire, le minimum qui puisse assurer la survie d’un être. N’est-ce pas là une démonstration de pure cruauté? Eh bien, non, la cruauté – les sentiments, les émotions ; tout ça n’a rien à voir avec moi, avec nous. Il s’agit plutôt du destin. Cela dit, le destin, lui, peut effectivement s’avouer cruel.
__C’est alors que, vidé de mes forces, mes genoux pliant sous mon poids et mon corps agité de spasmes, je perçus un son autre que celui de mes lents déplacements. D’abord, un lourd mécanisme – des portes, peut-être? Ensuite, des pas, rapides et déterminés, voire expéditifs, dont la proximité et la sonorité se précisèrent tandis que j’appuyai mon oreille contre la porte qui me séparait, de quelques pouces, de la liberté. Ainsi, se pouvait-il que je ne sois pas seul?
__La façon dont je fis la connaissance de mon premier locuteur, si je puis l’appeler ainsi, me fait défaut, si ce ne sont que des bribes de ma mémoire auxquelles j’aie encore accès. Ceci étant dit, je tente depuis si longtemps d’élucider le déroulement de ces événements qu’il est plausible que cela ne consiste qu’en le produit de mon imagination. En d’autres termes, ces faits rapportés ne sont pas d’une exactitude attestée ; or, je doute que cela ait une quelconque influence sur la lecture de mon récit.
__Ayant déjà deviné, mais surtout espéré, être celui qui recevrait la visite de ce nouvel arrivant – y en avait-il d'autres, comme moi, emprisonnés? – je ne fus pas surpris, mais bien rassuré, que ledit individu s’immobilise à peu près à ma hauteur. Je retins mon souffle, à quatre pattes sur le sol, hésitant entre la hâte et l’appréhension. Malgré l’isolement sonore de ma cellule – appelons-la ainsi puisque je ne puis l’identifier autrement – je perçus quelques sons artificiels, ceux de touches sur lesquelles on appuierait afin d’entrer une combinaison, par exemple. Cinq ou six, pour être plus exact, mais il ne s’agit encore une fois que d’une estimation. Toutefois, l’image qui m’apparut lorsque s’ouvrit la porte, et ce sans trop de délicatesse, fut, elle, aussi évidente qu’incontournable. Je tressautai à cette vue et fut saisi d’un mouvement de recul involontaire. Je tentai également de me protéger de la lumière aveuglante et du courant d’air qui envahirent ma cellule, fondant sur moi avec une telle agressivité que je ne pus retenir une plainte. Enfin, petit à petit, ma vision s’ajusta et, prenant plus sérieusement conscience de ma nudité, je me repliai sur moi-même, mort de froid, dans l’espoir de me préserver du regard intimidant de mon visiteur. Pourtant, de curiosité je présume, je relevai la tête en sa direction.
__Noir sur blanc. Silhouette effilée en contraste avec son décor, un homme, au visage à demi voilé par le grand capuchon de sa toge noire, se dressait alors devant moi de toute sa hauteur tandis que je le considérais, désormais recroquevillé par pudeur et de terreur, comme s’il fut le seul individu pour qui j’eus jamais du respect – ce qui, à bien y songer, n’est pas exactement faux. Dans une main, une longue étoffe blanche dont les surplus traînaient au sol ;
__ « Couvre-toi », bougonna-t-il, tout en me jetant précipitamment le drap, dont je me saisis sans me faire prier. Je m’en recouvris prestement, honteux de ma vulnérabilité. Son autre main, gantée, tout comme la première, il me la tendit sans trop de manières. Pour ma part, je me contentai de rester coi et immobile, comme terrifié par son apparition si soudaine ainsi que son manque de courtoisie. En réponse à mon silence obstiné, il poussa un petit grognement d’impatience et consentit à me dévoiler son visage, possiblement conscient que cela me convaincrait (ou pas) d’accepter son invitation à me lever – et sans doute à le suivre je ne savais encore où.
__Le premier détail sur lequel je m’attardai fut son œil d’un jaune doré, plutôt morne, qui me sembla toutefois receler d’une telle agressivité que je m’en détournai sur-le-champ. Le second se trouvait à l’abri de mon regard interrogateur sous un cache-œil dissimulant, j’en aurais mis ma main au feu, une infirmité ou une malformation. Je m’étranglai presque de malaise rien qu’à m’imaginer l’horreur que m’aurait inspiré cet individu s’il avait été pourvu de ses deux yeux. Je découvris ensuite sur son visage au teint cireux d’indiscrètes cicatrices, vieilles de nombreuses années, je le devinais. J’y discernai également des rides, – de sagesse ou de vieillesse, je me le demande? – un rasage défraîchi et ses lèvres sévèrement pincées, ce qui me laissa supposer que j’avais affaire à un homme d’une quarantaine d’années, sinon une cinquantaine. Allez savoir d’où me venaient ces approximations alors que je n’avais aucune notion d’âge ou de sexe ; curieusement, je le savais, tout simplement.
__C’est comme ça que sont les choses. C’est comme ça que sont les Nobodies.
__Outre la vue de ses traits rudes, je me rassurai en évaluant rapidement sa stature comme étant à peu près équivalente à la mienne, ou du moins, pour ce que je parvenais à en juger, sinon qu’il était peut-être un peu plus grand que moi. Le bras plutôt maigre, comme tout le reste en fait ; la poigne gauchère et mal assurée – parce qu’il ne tarda pas à s’énerver devant mon stoïcisme et m’obligea à me dresser sur mes jambes flageolantes.
__Fort heureusement pour son compte, je n’offris aucune résistance, étant en réalité plutôt choqué des modalités qui me tirèrent de ma torpeur. Ses doigts squelettiques resserrés contre mon premier poignet, mon autre main s’accrochant désespérément à la couverture qui couvrait de justesse ce qu’il restait de mon honneur, je le laissai me traîner sans trop de délicatesse hors de ma cellule. Après quoi nous longeâmes un étroit corridor où, malgré la pénombre, je puis faire le compte d’une bonne dizaine d’autres compartiments, vraisemblablement vides au premier coup d’œil. Outre cette vision incommodante, je dois reconnaître n’avoir porté aucun intérêt à mon nouvel environnement ; plutôt, je gardai les yeux rivés sur l’homme qui, me tournant le dos, voûté comme de lassitude, me paraissait fournir un effort colossal pour m’entraîner à sa suite, jusqu’à ce que nous parvîmes à l’extrémité de l’allée la plus loin de ma cellule. Nous franchîmes une nouvelle porte mécanique et aboutîmes dans l’antichambre de la geôle dans laquelle je m’étais précédemment éveillé. Il me fit passer devant lui, m’obligeant à gravir un escalier – je trébuchai à quelques reprises, me prenant les pieds dans mon étoffe – effort physique considérable qui me draina le peu d’énergie dont je disposais. Enfin, nous passâmes une tierce porte, cette fois hautement plus massive que la dernière et sécurisée à l’aide d’un mécanisme apparemment complexe, qui produisit un son lourd et agressant lorsqu’elle nous ouvrit le passage devant nous.
__Étonnement, je ne bronchai toujours pas et ne songeai pas même à interroger l’homme sur son identité ou encore sur les motifs de sa venue, de ma propre présence en ces lieux. Je ne réfléchissais pas : je me contentais d’observer, d’évaluer, de mettre des mots, dans ma tête, sur toutes les images surgissant à chaque nouvel élément visuel et sonore que je croisai et tentai de les mettre en mémoire. Je restai d’autant plus paralysé devant son silence ainsi qu’à la vue que nous offrit ensuite cette nouvelle pièce : sombre, comme tout le reste, et d’une vastitude déconcertante, à un point tel que j’en perdis mon équilibre lorsque je m’adonnai à jeter un œil au plafond qui, en réalité, semblait se fondre dans la noirceur à des dizaines, des centaines de mètres du sol. Le reste n’est que trop vague en mon esprit, et nombreux sont les détails qui m’échappent toujours. Que de la noirceur et du silence ; et le bruit de sa respiration sifflante, de ses semelles martelant la céramique froide sur laquelle je marchais pieds nus avec, traînant derrière moi, les surplus de ma précieuse couverture.
__


Dernière édition par le Sam 26 Mai - 15:02, édité 13 fois
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MessageSujet: Chapitre I – suite   Chapitre I EmptySam 17 Mar - 13:50

__La suite des événements m’est également bien imprécise. Je crois m’être, durant un moment, détaché de ma tête, de mes idées. Je ne m’attardai qu’à mon environnement, j'observai sans comprendre. J’étais, pour ainsi dire, à la fois fasciné et terrifié ; envoûté, comme sous le charme de cet homme, comme s’il eut une emprise totale sur les ficelles de moi, pantin à sa merci. Je répondis machinalement aux quelques instructions qu’eut l’amabilité de me fournir mon guide. « Fais gaffe! tu me marches sur les talons », « Presse-toi, et passe devant », « Allons, de ce côté, tourne à gauche… Non, de l’autre côté, j’ai dit », « Va, entre là-dedans » : à ses paroles s'ouvrit devant nous, et avec une violente bourrasque, un grand gouffre noir. De quoi laisser perplexe le miocje que j'étais. Posté derrière moi, il me saisit par les épaules, le cuir frais de ses gants me faisant frémir à leur contact, et m'y précipita avant même que je puisse saisir le danger potentiel que cela puisse représenter.
__En une fraction de seconde, le décor changea du tout au tout et nous nous retrouvâmes au beau milieu d'un grand vestibule vide. Ce dernier, en opposition à tout ce dont à quoi je m’étais familiarisé depuis mon réveil, étincelait d’un blanc obnubilant : toutes les parois, décorées d’insignes divers et bigarrés, étaient faites d’un ivoire impeccable. De grandes portes du même style se dressaient devant nous, ouvertes sur ce qui pourrait s'apparenter à un élévateur ; c'est dans cette direction de s'engagea l'homme, que je fus inévitablement tenté de suivre.
__Une fois à l'intérieur, les portes se refermèrent derrière nous, obéissant à un geste bref de sa main. Je pris par ailleurs grand soin de ne pas y coincer les replis de ma couverture. Puis, de crainte, je me logeai le plus à distance possible de l’entrée de l’élévateur, celui-ci étant de forme circulaire. Lorsqu’il se mit en marche, sous la pression, je fus projeté au sol, nez contre terre et dans une posture grotesque. Je m’adonnai alors à la contemplation du gigantesque emblème gravé sur la céramique : un enchaînement de traits et de courbes, le tout formant une figure plutôt indescriptible. Ceci étant dit, c’est seulement plus tard que j’en saisis la signification ; pour le moment, et en y regardant de plus près, je constatai que le sol et les parois étaient en réalité plus transparents qu'opaques, si je puis dire ainsi : je vis défiler sous mes yeux le décor, au-dessous de nous, dont nous avions fait partie à peine un instant plus tôt. Je pris peur et tentai de me relever, misérable et emmêlé dans mon étoffe trop longue. Alors, et cet enfer me parut d’une durée inimaginable, le gigantesque appareil s’immobilisa finalement à destination désirée.
__Je fus assailli à nouveau, et cette fois avec violence, d’un blanc éblouissant, d’une vision ivoirienne à perte de vue. De haut en bas, de gauche à droite, où que je posai le regard : du blanc. Du blanc, puis du blanc par dessus du blanc. Et surtout du blanc. Sans oublier le blanc, cela va de soi. (Par extension, je dirais également du blanc.) Oh, beaucoup trop de blanc.
__Je remontai ma couverture jusqu’à mes yeux pour fuir cette agression visuelle. Il me fallut un moment pour me remettre du choc : l’homme me flanqua une gifle derrière le crâne pour me ramener à l’ordre et m’ordonna de le suivre. J’en oubliai vite le blanc de mon environnement ; voici désormais que je m’affolais à l’idée d’être si insignifiant au beau milieu d’un corridor aussi démesurément long et spacieux, et me pendis presque au cou de l’homme par peur qu’il ne m’oublie derrière lui. Il me fallut lui emboîter le pas et conserver un rythme de marche épuisant durant un pénible instant, jusqu’à ce que je perde de vue ce nouvel objectif et me concentre désormais non plus sur la douleur cuisante de mes jambes endolories, mais plutôt sur la voix de mon guide – un marmonnement fébrile se fondant à l’écho de ses pas, dont je perdis les premières paroles :
__ « …parce qu’il faut qu’on te nourrisse. On ne voudrait pas que tu crèves de faim, le môme, pas vrai? »
__“Lemôme”. Alors quoi, c’est ça, mon prénom?
__ « Et puis ensuite, surtout, dans la douche. Il faut te laver cette crinière, t’as l’air d’un pouilleux. Pas question de te présenter au Supérieur avec cette tronche-là! »
__Il poussa un grognement curieusement apparenté à un rot – ou alors était-ce un rire?
__ « Au fait… » Il s’arrêta net et pivota lentement sur lui-même pour me faire face. À sa vue, mon regard croisa mes orteils retroussés d'angoisse, tout comme le reste de mon corps se crispa. « Xigbar, lâcha-t-il. C’est mon nom à moi. Et regarde-moi lorsque je m’adresse à toi, gamin. »
__Allant d’une hypothèse à une autre quant à mon prénom, je levai de peine et de misère les yeux sur mon interlocuteur qui déjà repartait tout de go, comme s’il eut oublié ma présence. Drôle de personnage, il faut bien le dire. Pas plus de considération pour les vivants que pour les choses. L’art de ne pas vous mettre à votre aise en sa compagnie. Mais enfin.
__Je perdis vite le compte des couloirs et des allées dans lesquelles nous dûmes bifurquer avant de parvenir à la cuisine, ou bien n’était-ce peut-être qu’une impression. Quoiqu’il en soit, l’idée de me « nourrir » sonna bien à mon oreille – et fit presque ronronner mon estomac de bonheur lorsque qu’il m’invita à prendre place sur un siège dont l’emplacement avait sans doute été prévu afin de me recevoir parmi d’autres – d’autres prisonniers, d’autres hôtes? Ah, mais quelle importance.
__Je finis par me faire à l’idée que tout en ces lieux se voulait d’une similarité déconcertante : blanc et vaste, cependant vide – je fais par là référence et à la salle à manger, et à la table à laquelle je siégeais, parmi sept ou huit autres bancs inoccupés. Je ne m'attardai pas un instant de plus sur ce nouveau décor dès le moment où mon regard rencontra, juste devant moi et sorti de nulle part, un (substitut de) repas composé d’un mélange de purées et de compotes…et d’autres substances non identifiables. On ne me dit pas deux fois de me servir ; je répondis instinctivement à mon besoin. Je crois d’ailleurs qu’on me servit volontairement un repas aussi peu consistant, de peur que je m’étouffe en me nourrissant avec trop de hâte. Comme de fait, ce fut le cas, et jamais je ne savourai, depuis ce jour, un repas avec autant d’appétit. On n’eut certainement pas songé, non plus, à m’offrir d’ustensiles – et avec raison, car ils ne m’auraient pas été d’un usage quelconque. Mes mains, souillées de purée jusque sous leurs ongles, accomplirent un ouvrage d’une efficacité remarquable…si ce n’est que je m’étouffai à quelques reprises en m’empiffrant. Voilà pourquoi il faudrait veiller, dans une éventualité proche, à m’inculquer de bonnes manières. Ou du moins, essayer, car jamais la partie n’est gagnée d’avance, avec moi. Retenez-le bien.
__Plutôt que de m’enseigner les rudiments de la nutrition, le prénommé Xigbar se contenta de m’observer, mine de rien, tout en faisant les cent pas d’un bout à l’autre de la table ; quant à moi, je me gavais, de manière fort peu raffinée, de ce repas qui, étonnamment, me laissa complètement repus en un rien de temps. Par ailleurs, je m’étonne encore lorsque je songe au fait qu’il ne m’ait pas reproché mon manque de civisme sidérant, à l’époque, compte tenu de toute la purée renversée sur la table et sur ma couverture. Ceci étant dit, ce n’est que peu de choses : je fus bientôt victime d’une indigestion, c’est-à-dire que je rendis mon repas dès que je mis les pieds hors de la salle à manger. Expérience plutôt gênante qui me fit regretter de m’être laissé aller à mes envies déraisonnables – et c’est le genre de chose qui me connaît fréquemment, à dire vrai. On apprend de ses erreurs, me dit-on. Par ailleurs, plus jamais je ne consentis à avaler quelconque nourriture d’apparence ou d’origine douteuse.
__À cette suite, je fus amené, par un Xigbar sorti de ses gonds (et sans doute profondément répugné), à me nettoyer de mes souillures dans une sorte de douche commune. De nouveau terrifié, je m’opposai à grand peine à l’idée de me départir de mon drap, bien que ce fut là sa volonté. Bien vite il s’énerva et me précipita, à demi dévêtu, sous un puissant jet d’eau froide. Je résistai tant bien que mal à ses ordres, si bien que nous luttâmes jusqu'au point où ce fut lui qui, maladroit, se mérita une douche glaciale alors que je tentais de prendre la fuite. Bien entendu, je ne fis pas long feu et, pestant délibérément, il me traîna comme on traînerait des ordures jusqu’à la douche où il me noya sans trop de remords apparents. Le contact de l'eau avec ma chair me fit pousser un hurlement, voire un cri de mort ; la sensation qui m'envahit lorsque déferla sur moi cette pluie semblable à de l'acide est sans équivalent, tellement que je craignis presque d'y laisser ma peau tellement j'en souffris. Xigbar ne desserra pas pour autant sa prise sur moi : tout au contraire, il me maintins en place sans broncher. En d'autres termes, disons qu'il s'agisse d'un homme ne possédant en rien ce que l’on pourrait appeler, dans un contexte différent du nôtre, le don paternel – et encore moins maternel. On ne tardera pas de s’en rendre compte.
__Somme toute, mes genoux fléchirent sous mes grelottements et mes convulsions, et enfin, il se décida à mettre fin à mon calvaire, soulevant par un bras le corps hypothermique d’un adolescent frêle et sans défense. Je tentai d’entraîner au passage mon étoffe détrempée, cette dernière m’apparaissant comme étant le seul réconfort que je puisse trouver ; au lieu de quoi je fus traîné avec indifférence à une certaine distance du redoutable jet d’eau. Puis, revenant sans doute sur sa décision, il se démit de ma charge et me laissa choir par terre comme si ma condition fut le cadet de ses soucis. Je compris vite qu’il ne me serait d’aucun avantage d’offrir une résistance à cet homme avec l’état de santé et les circonstances dans lesquels je me trouvais.
__Ainsi, je gésis au sol, dans une flaque d’eau se dissipant petit à petit par les canalisations d’évacuation. En proie à une frayeur sans pareil, je gémis, j’implorai sa merci, mais il me sembla m’être retrouvé seul, tout à coup, lorsque les échos de ma voix me furent renvoyés de partout à travers la pièce. Le silence fut la seule réponse à mes lamentations, et je restai là, désespéré et au seuil de l’inconscience, à espérer qu’on me trouve. Je traînai misérablement ma carcasse jusqu’à ma précieuse couverture, rampant et nu comme un ver ; j’en fis un tas, de mes mains tremblantes, et m’y lovai, comme apaisé. Heureusement pour mon compte, l’humiliation que me procura un pareil déshonneur ne me frappa que quelques jours plus tard, lorsque je fus en mesure d’en prendre conscience.
__Mais avant cela, lui s’absenta donc un certain moment – ou une heure, peut-être, je ne sais trop – pour finalement me retrouver, comme si de rien n’était, en compagnie d’un autre homme dont je ne distinguai que vaguement la silhouette, alors : haut sur ses pattes et deux fois large comme mon premier hôte. Il s’agit en réalité de souvenirs indistincts dont je tente de recoller les morceaux, car suite à pareil traumatisme, j’en oubliai totalement l’existence durant un certain temps. Je sais de mémoire qu’on m’enveloppa dans un autre drap, nettement plus douillet que le premier, dont je ne voulus me séparer, à ce moment. Le nouvel homme s’avéra d’une force telle que je ne songeai pas même à lutter ; je me laissai soulever comme un chiffon, puis il me renversa sur le ventre, par dessus son épaule, me maintenant tout juste par les jambes.
__J’ignore ce qu’il advint de Xigbar à cet instant, et à vrai dire, je n’y pensai même pas. J’ignore également comment je m’y retrouvai, mais on me déplaça de la sorte jusqu’à une nouvelle pièce – une chambre à coucher, la mienne. On allongea mon corps inerte sur un matelas fort inconfortable, on me couvrit de nouvelles couvertures plus chaudes et, enfin, pour mettre un terme à toute mon horreur, on me laissa à moi-même...
__...ou du moins, jusqu'à mon réveil.
__
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MessageSujet: Re: Chapitre I   Chapitre I EmptyVen 25 Mai - 13:35

(À compléter)
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